L’anticapitalisme est-il l’avenir du libre ?

Séminaire Capitalisme numérique et idéologies

Gabriel Alcaras

12 janvier 2021

Prologue

Une antienne du logiciel libre

Dès 1989

Un nouvel écho aujourd’hui

Une nouvelle configuration

Introduction

Mon objet de recherche

  • Mon terrain : Git
    • Gestionnaire de version : écriture collective du code
    • Logiciel libre : 1983, partage des codes
    • Standard industriel, emploi massif
  • Question de recherche
    • Comment les ingénieurs construisent-ils le contrôle de leur activité ?
    • Deux versants : externe et interne à la profession
    • Externe : contrôle appareil productif -> bien industriel public
    • Interne : façonner l’activité par les outils de travail

De nombreux travaux

  • Anthropologie nord-américaine : Biella Coleman, Chris Kelty
  • Rapports technique / politique : Nicolas Auray
  • Histoire des idées politiques : Sébastien Broca
  • Sociologie du travail : Demazière, Horn & Zune ; Berrebi-Hoffman, Bureau & Lallement
  • Philosophie : Isabelle Stengers, André Gorz
  • Et bien d’autres !

Politique partout

  • La politique comme point commun
    • Soit comme objet ou prisme d’analyse : libéralisme (Coleman) ; publics récursifs (Kelty) ; utopie concrète (Broca)
    • Soit comme terrain : Debian (Auray) ; SPIP (Demazière et al) ; hackerspaces (Berrebi-Hoffman et al)
    • Soit comme exemple : résistance aux enclosures (Stengers) ; le « faire » (Lallement) ; émancipation (Gorz)

Une limite analytique

  • Qualifier la convergence entre informatique libre et marchande :
    1. Constater l’aporie : « contradiction », « ambiguïté »
    2. Prendre parti : placer le libre du côté du capitalisme ou de l’anticapitalisme
    3. Refuser la constatation : la véritable opposition serait entre l’open source et le logiciel libre (Richard Stallman)

Un non-événement sur le terrain

Extrait d’un chat IRC après l’annonce du rachat de Github par Microsoft (8 juin 2018).

Une impasse descriptive

  • La grande majorité du logiciel libre : outils de travail à destination des ingénieurs
  • Risque d’imposition de problématique : rendre compte des logiques à l’œuvre, hors (anti)capitaliste
  • Démêler le marchand du non-marchand : presque impossible, souvent un contre-sens

Les biens industriels publics

Au-delà des mondes antagonistes

  • Sortir de l’opposition de « mondes antagonistes » (Zelizer, 2001) : libre vs capitalisme
  • Sortir de l’exception du libre : comparer à d’autres mondes du travail ; placer dans le continuum travail gratuit / rémunéré (Simonet, 2018)
  • Sortir de l’économisme (Polanyi, 1977) : réduction de l’économie au seul phénomène marchand

Bien industriel public

  • Bien public : non-rivaux, non-excluables
  • Industrie informatique : ensemble du système productif
    • Travail : gratuit, rémunéré, …
    • Emploi : bénévolat, précaire, auto-entreprise, salariat, …
    • Activité : marchande, non-marchande, …
    • Licenses : libre, open source, propriétaire, …
  • Les logiciels libres comme biens industriels publics : positions différenciées dans le système productif
  • Hypothèse : enjeux professionnels comme facteur de positionnement dans l’industrie

Origin story (1979-1999)

À rebours d’un certain mythe des origines

Gabriel Alcaras, « Des biens industriels publics. Genèse de l’insertion des logiciels libres dans la Silicon Valley », Sociologie du travail [En ligne], Vol. 62 - n° 3 | Juillet-Septembre 2020, mis en ligne le 12 septembre 2020.
URL : http://journals.openedition.org/sdt/33283
DOI : https://doi.org/10.4000/sdt.33283

S’affranchir de l’informatique marchande pour mieux produire

  1. Un problème industriel : massification de la production logiciel (software crisis)
  2. Logique d’activité : personnalisation des postes de travail, automatisation de routines manuelles
  3. Appropriation individuelle de l’outil de travail : contre les enclosures à l’intérieur des entreprises
  4. Contrôle collectif de l’expertise : ingénieurs décident de ce qui est optimal, pas les managers

Départager marchand / non-marchand ?

  • Au niveau individuel
    • Perruque : vol de temps / ressources de l’employeur
    • Anti-perruque : apport d’un meilleur outil hors marchand
  • Au niveau du projet ?
    • Contributeurs : travail gratuit majoritaire
    • Contributions : travail rémunéré majoritaire

Une logique productive incomprise

  • Le souci des ingénieurs : produire davantage, mieux, vite
  • Une solution « évidente » pour l’infrastructure : le libre
  • Problème du libre pour les managers :
    • Gratuit -> signal de mauvaise qualité
    • Perception erronée d’illégalité
    • Absence de contrôle managérial

Le libre dans l’informatique marchande

  • Des managers « cool » (ex ingénieurs, compréhensifs, …)
  • Importer le libre par la petite porte (au nez et à la barbe des employeurs)
  • Recourir aux entreprises du « libre » (Cygnus, Cyclic) qui proposent un modèle marchand rassurant (même si mal ajusté au fonctionnement réel du libre)

De nos jours

Une insertion institutionnalisée

  • Open Source Office (inauguré par Chris DiBona à Google début 2000s) : vérifications légales, dons financiers, …
  • Embauches d’ingénieurs open source ou nouveaux postes pour les employés existants
  • Developer Operations (DevOps) : département en charge des infrastructures productives
  • Technical Boards : fondations pour les plus gros projets, bureaux pour les membres OSI, FSC, …

Un nouvel intérêt managérial

  • Réduction des coûts / mutualisation des risques : coopération inter entreprises (monorepo Google, Facebook, etc.)
  • Recrutement / image : projets vitrine, conférences, surveillance de projets
  • Management : performance, innersource, responsabilisation

Quelques hypothèses

  • Effet de génération : les jeunes ingénieurs des 1980s sont les managers d’aujourd’hui ; les jeunes ingénieurs d’aujourd’hui veulent des outils open source
  • Structuration professionnelle : ingénieurs plus à même d’imposer leurs outils
  • Transformation des modèles commerciaux : SaaS ; logiciel < hardware ?