Analyser un réseau social permet d’analyser une gouvernance et au travers de cette étude, cela portera sur la gouvernance de 35 groupes qui dessinent le paysage criminel de la ville de Montréal. Une analyse de réseau social permet de ne pas se concentrer sur un individu mais de se concentrer sur ses relations au sein d’un réseau.
Des réseaux de gangs de rue sont présents dans de nombreuses villes nords-américaines, y compris à Montréal. D’après les auteurs, deux organisations structures le réseau de gangs montréalais, les Bloods et les Crips mais plus communément appelées les Red (les Bloods) et les Blue (les Crips). Ces deux coalitions sont notamment très connues au sein des territoires nord-américains puisqu’ils naissent aux USA dans les années 1970 et se sont très largement diffusés dans le pays et au Canada. La rivalité entre Bloods et Crips est légendaire et très largement médiatisée à Montréal, cependant les auteurs soulignent l’essentialisme des analyses opposant les Bloods aux Crips.
Les données sont issues d’une enquête dont les résultats ont été présentés par Karine Descormiers et Carlo Morselli à travers leur article “Alliances, Conflicts, and Contradictions in Montreal’s Street Gang Landscape” publié en 2011. Les données ont été téléchargées sur le site UNICET Software.
Concernant la méthodologie utilisée pour constituer la base de données, celle-ci repose sur des entretiens de groupe avec des membres de gangs incarcérés. Ces entretiens réunissaient 20 membres de gangs âgés de 14 à 18 ans détenus dans un centre de détention pour jeunes délinquants à Montréal. Aussi, la recherche s’appuie des données et méthodes d’analyse déjà employées dans les précédentes études relatives au réseau de gangs. Bien que l’étude de référence soit intéressante, on peut émettre certaines réserves concernant la construction de la base de données malgré un corpus littéraire conséquent.
Il faut savoir que les données ont été structurées sous la forme d’une matrice symétrique non orientée. Initialement, l’article présentait la nature des relations entre gangs (alliances ou rivalités) cependant celles-ci n’apparaissaient pas dans la matrice binaire, dans laquelle la valeur “1” signifiait la présence d’une relation entre deux gangs, tandis que la valeur “0” représentait l’absence de relation entre deux gangs.
Pour réaliser une analyse relatives aux alliances et aux rivalités entre gangs, il a fallu reprendre les éléments de l’étude pour établir la nature des relations entre les entités. Dès lors, les bases de données utilisées dans l’analyse relatent uniquement la présence de relation : les valeurs “1” correspondent à des relations d’entente quant aux valeurs “0” qui illustrent les relations de rivalités entre gangs.
De fait, quatre bases de données ont été mobilisée dans la réalisation de l’étude.
# Base de données relative aux relations d'alliance et de rivalité
alliances_conflits <- read.csv("relations_rivalites.csv", sep = ";", dec=".", header = TRUE)
# Base de données relative aux attributs des gangs
attributs <- read.csv("attributs_gang.csv", sep=";", dec=".", header=TRUE)
# Base de données représentant uniquement les rivalités entre gangs
rivalites <- read.csv("rivalites.csv", sep = ";", dec=".", header = TRUE)
# Base de données représentant uniquement les alliances entre gangs
alliances <- read.csv("alliances.csv", sep = ";", dec=".", header = TRUE)
L’intérêt de la présente étude est d’analyser s’il existe des relations intercoalitions et/ou intercoalitions, de connaître leur nature et de vérifier si les relations entre les Bloods et les Crips sont conflictuelles ou non. Une analyse de graphe sur le sujet pourra aussi mettre en avant la structure des interactions entre les gangs de Montréal mais aussi d’aborder la question de la territorialité des gangs. Ainsi, nous pouvons développer des hypothèses de travail pour cadrer notre étude :
Les deux premières bases de données permettent de délimiter les contours du paysage des gangs de Montréal. En effet, elles informent sur l’existence de relation et sur leur nature :
## [1] "Source" "Target" "Type"
La seconde renvoie quant à elles aux caractéristiques des gangs :
## [1] "Organization" "Allegiance" "Ethnicity" "Territorie"
Ainsi, nous pouvons identifier 35 gangs de rue, dont 14 sont affiliés aux Crips et 11 pour les Bloods. Montréal est donc occupée par des gangs affiliés mais aussi par près d’un tier composé de gangs sans affiliation. Il n’y aurait donc pas de surreprésentation d’un groupe en particulier.
De plus, parmi les 35 gangs, on notera que 18 d’entre eux sont majoritairement composés de personnes afro-canadiennes. On note aussi la présence de gangs asiatiques et caucasiens.
Pour terminer, les chiffres montrent que la partie est de la ville est davantage occupée par des gangs que le centre-ville ou la frange ouest.
## Organization Allegiance Ethnicity
## 13th : 1 Bloods :11 Afro-Canadian :18
## 146 : 1 Crips :14 Asian : 4
## 187 : 1 Missing data: 5 Caucasian : 2
## 18th : 1 Other : 5 Hispanic : 2
## 47 : 1 Missing data : 5
## 50 Niggaz: 1 No main association: 4
## (Other) :29
## Territorie
## Downtown : 5
## East :18
## Missing data: 4
## West : 8
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##
Le premier graphe illustre toutes relations selon leur nature (entente ou rivalité) entre les 35 gangs de rue montréalais. Les données issues de l’enquête mettent en évidence le fait que les groupes affiliés aux Bloods et aux Crips sont au coeur des échanges entre les gangs. Les relations sont donc plus importantes entres les éternels rivaux tandis que les groupes sans affiliation reconnue se positionnent à la marge du réseau, tels que les Outlaws, les Motards, les Black Dragons ou encore les White Tigers. De plus, le graphe permet de voir que certains gangs sont isolés du réseau principal. En effet, un second réseau met avant les relation entre le Ve Crew avec le PSC, le St Henri ainsi que le LPE. Le Bronx et le V Block quant à eux se positionnent comme des gangs satellites puisque qu’ils n’ont aucune relation intergang.
Les mesures globales du réseau permettent de corroborer ces observations. La densité du réseau, qui est de 0,13, est relativement faible et témoigne donc du faible nombre de liens observés par rapport au nombre de liens possibles. Le diamètre, qui est de 4, indique que le réseau a une structure plutôt compacte malgré la présence de gangs satellites.
# L'intensité des relations entre gangs
graph.density(graph_relations)
# Le diamètre du réseau
diameter(graph_relations)
Afin de tester l’hypothèse selon laquelle il existerait des gangs plus centraux que d’autres au sein du réseau de gang, il nous faut mobiliser des outils statistiques adéquats. Pour ce faire, il s’agira de calculer le degré de centralité qui permet de connaître les relations d’un acteur au sein d’un réseau, et par conséquent de voir si sa position est stratégique.
# Calcul du degré de centralité (degree centrality)
degree(graph_relations, mode = c("all"))
## 13th 47 67 99
## 15 8 3 4
## 146 187 18th 50 Niggaz
## 1 3 15 7
## AYB AYB.2 White_Tigers Blue_Devil.1
## 8 3 1 3
## Blue_Devil.2 BMF Bo-Gars Bronx
## 5 18 6 2
## Dangerous_Street DPC Green_Land J.O.K.E.R.S
## 5 3 2 7
## Lg Side LPE Motard Outlaws
## 2 1 1 1
## Pie-IX Plan riel PSC Px-80
## 8 1 1 5
## RTC South_Side St.Henri Uptown_Posse
## 5 6 1 3
## V_Block Ve_Crew Black_Dragons
## 2 3 1
Le degré de centralité a permis de mettre en évidence les gangs ayant le plus grand nombre de relations au sein du réseau. Il est donc possible d’identifier des groupes plus ou moins centraux :
De fait, pour compléter les premières observations, il peut être intéressant de voir s’il existe bel et bien une rivalité “Bloods versus Crips” au sein de Montréal. Pour faciliter les analyses de réseau, nous pourrons nous appuyer sur un premier graphe relatant les rivalités puis sur un second relatif aux alliances entre groupes.
Grâce au graphe ci-dessous, nous pouvons observer que la rivalité intercoaliation attendue est bien présente. Cependant, des rivalités intracoalitions peuvent être observées chez les Bloods : le gang BMF est un des gangs rivaux du gang 187, du gang 50 Niggaz ainsi que du 18th. On note que les groupes affiliés aux Crips, contrairement à ceux des Bloods, ne sont pas en relation conflictuelle avec d’autres gangs de leur coalition.
A la suite des résultats précédents, nous pouvons donc poursuivre notre résonnenment afin de démontrer s’il existe ou non des relations intracoalitions sous la forme d’alliance en analysant les relations positives. Le graphe ci-dessous permet d’affirmer qu’il existe des relations intracoalitions positives entre Bloods et entre Crips. Seul le 50 Niggaz (Bloods) n’a pas de relations intracoalition. Toutefois, nous pouvons remarquer quatre relations d’alliance entre coalitions, celles-ci concernent :
Les données reccueillies au travers de l’enquête menée par par Karine Descormiers et Carlo Morselli permettraient d’affirmer qu’il existe une rivalité intercoalition mais que celle-ci peut être relativisée. Bien évidemment, les graphes mettent en exergue des rivalités intercoalitions et des alliances intracoalitions. Cependant, l’organisation du réseau de gangs de rue ne correspond pas à une simple rivalité intercoalition véhiculéee par les médias, puisque des gangs des Bloods peuvent être rivaux tandis que des Bloods et des Crips peuvent être alliés.
Le graphe ci-dessous permet d’identifier la localisation des gangs selon les affiliations. Les quartiers est de la ville représentent une partie de la ville où l’on observe le plus de gangs 18 gangs sur 35. Le graphe illustre que sur ces 18 gangs, 10 sont affiliés aux Bloods contre 8 aux Crips. Au sein des quartiers ouest, nous identifions 8 gangs dont 6 d’entre eux ne sont pas affiliés contre 2 seulement appartiennant aux Bloods. Le centre ville abrite seulement 5 gangs, dont 4 non affiliés et 1 appartenant aux Crips.
Ainsi, les différentes parties de la ville de Montréal ne sont pas sous la domination d’une seule coalition. Les groupes affiliés aux Bloods, aux les Crips ainsi que les autres gangs sont localisés sur l’ensemble du territoire montréalais.