Les Throbopénies induites par l'héparine

Thomas Steimlé

Historique

  • 1916 - Découverte de l'héparine. Extraite d'un tissue hépatique dans le laboratoire de William Henry Howell (celui des corps de Howell-Jolly) par Jay McLean (étudiant en médecine) [1]

  • 1936 - Premier cas clinique décrivant l'utilisation d'héparine en prophylaxie thromboembolique post chirurgie par Clarence Crafoord
  • 1957 - Premiere description de thrombose sous héparine.
  • 1969 - Premiere description d'une “thrombocytopénie induite par de l'héparine” (TIH) par Natelson [2]

Il faudra attendre les années soixante dix pour associer la thrombose, la thrombopénie et la composante immunologique au syndrome de TIH [3].

Epidémiologie

  • L’incidence est de 0,2 à 5% chez les patients exposés à l’héparine [4]
  • Le risque est plus élevé chez les femmes que chez les hommes (OR = 2.37 [95% CI], 1.37-4.09; P = .0015) [5].
  • Le risque de séroconversion est plus important lorsque que la chirurgie est majeur plutôt que mineure (OR 7.98 [95% IC, 2.06-31.00]) [6]
  • Risque augmenté en cas de traumatisme ou d’infection. Très rarement pédiqtrique ou obstétrique
  • Les héparines non fractionnés ont un risque plus élevé d'induire des TIH.
  • L’antigénicité de l’héparine est corrélée a sa taille et son taux de sulfatation. [9]

Epidémiologie

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Figure 1: Odds Ratio selon différentes populations [7]

Physiopathologie

  • Maladie immunitaire caractérisée par la présence anormale d'Ac anti complexe héparine/PF4 entrainant la consommation des plaquettes et un état procoagulant résulant de leur activation.
  • Les complexes immuns IgG/héparine/PF4 par liaison au récepteur FcγRIIa (CD32) entrainent l'activation plaquettaire et leurs agrégation.
  • La libération du contenu des granules plaquettaire mène a un état procoagulant.

Physiopathologie

  • D'autres mécanismes concourant à l’état procoagulant ont été décrit
  • Liaison des Ac aux héparan des surfaces endothéliales entrainant une libération de facteur tissulaire (FT).
  • Activation monocytaire par les complexes immuns et libération de FT.
  • Cet état procoagulant dans la TIH différe d’autres thrombocytopénies induites par des médicaments tel que la quinine ou la toxicité est directe et dans lesquels il n’y a pas de risque thrombotique .

Figure 2: Physiopathologie de la TIH source NEJM

Physiopathologie

  • La physiopathologie demeure mystérieuse car le risque thrombotique persiste plusieurs semaines après exposition et que des TIH retardées, pouvant survenir des semaines après l'arrêt de l'héparine, ont été reporté [8] et ce bien que la demie vie de l'héparine soit de 2 heure.

  • Les dernieres études décrivent des Ac capable d'activer l'aggrégation plaquettaire après s'être lié aux plaquettes de façon dépendante à la présence de PF4 et indépendante à la présence d’héparine.

Clinique

  • Thrombocytopénie
    • Il s'agit d'une thrombocytopénie de consommation (ne pas transfuser)
    • Après 5-10 jour d’exposition à l’héparine.
    • Plus court (parfois quelques heures) si le patient a été exposé à l’héparine dans les 3 derniers mois.
    • Le plus souvent la chute est de plus de 50% par rapport au taux basal.
    • Dans 10% des cas la chute est comprise entre 30 et 50%
    • Dans la majorité des cas la thrombocytopénie n’excède pas 20 G/L en deça il faut envisager une coagulation intra-vasculaire disséminé (CIVD).

Clinique

  • Les saignements sont exceptionnels.
  • La restauration du taux de base se fait en 4 à 14 jours

Clinique

  • Manifestations thrombotiques
    • Chez 20 à 50% des patients Les thromboses peuvent être artérielles ou veineuses.
    • Les thromboses veineuses sont 2x plus fréquentes ques les artérielles
    • 10 à 20 % des patients présentent une CIVD. Le risque thrombotique reste élevé même après normalisation du chiffre de plaquette et peut prendre plusieurs mois avant de se normaliser.
    • Le risque de thrombose est corrélée au taux d’Ac
    • Faire pratiquer systématiquement un bilan d’imagerie à la recherche de thrombose.

Clinique

  • Autres manifestations cliniques suspicieuses
    • Réaction anaphylactique après initiation de l’héparinothérapie notamment si l’héparine est injecté en bolus et que le patient a déjà été exposé à l’héparine.
    • Cette réaction est souvent du à un contaminant le sulfate de chondroïtine sursulfaté.
    • Des lésions nécrotiques au point d’injection.
    • Résistance à l’héparine

Clinique

Figure 3: image de nécrose cutanée induite par l'héparine

Diagnostic Biologique

  • La TIH est avant tout un syndrome clinico-pathologique (thrombocytopénie trombose exposition à l’héparine)
  • Les syndromes cliniques priment encore sur les tests biologiques pour cette pathologie.
  • La présence d’Ac n’est pas systématiquement associé à des thromboses mais est un facteur de risque de celles-ci.
  • Un model d’iceberg ou les symptomes forment la partie visibles a été développé [10] pour mettre en relation les données cliniques et biologiques.

Diagnostic Biologique

Figure 4: Modèle de l'iceberg

Diagnostic Biologique

  • La probabilité pré-test est déterminé par le score des 4T

Diagnostic Biologique

  • Une propbabilité faible se retrouve chez 1 patient atteint de TIH pour 119 sans TIH
  • Probabilité pré-test:
    • Faible: 2,1% IC95: [0.3-7.3]
    • Intermédiaire: 11,2% [7,2-16,3]
    • Forte: 46,9% [29,1-65,3]

Recherche d’Ac anti PF4/Héparine

Il existe plusieurs limites à la mise en évidence de ses Ac dans le diagnostic de TIH

  • Des Ac anti PF4/héparine ont été décrit chez des patients n’ayant jamais été exposé à de l’héparine [11].
  • Seul le sous-type isotypique G est pathogène.
  • Certaines IgG anti-PF4/héparine n’ont pas la capacité d’activer l’agrégation plaquettaire.
  • La recherche de ses Ac peut être biaisé par la présence d’Ac anti-PF4 retrouvé dans certains SAPL et LES.
  • “ 32 of 42 patients (76.2%) with APS, APS and SLE, SLE, or SLE with antiphospholipid antibodies, EIA IgG or PaGIA for PF4-heparin complex antibodies were positive” [12].

Recherche d’Ac anti PF4/Héparine

  • Si le prélèvement a été fait trop tôt dans l’évolution de la pathologie le taux d’Ac peut-être trop faible, refaire un prélèvement et des analyses en cas de forte suspicion est utile pour permettre d’augmenter la sensibilité du dépistage.

Test STic

  • Test immunologique à flux latéral qualitatif
  • Seul les IgG sont détéctés.

Test STic

  • Le plasma du patient est déposé sur la zone de dépot.
  • Les Ag PF4/polyanion sont ajoutés tout de suite après avec des Ac anti-ligand portant des nanoparticules d’or coloré.
  • Ce mélange réactif va être entrainé par capilarité et migrer vers une zone ou sont fixé des Ac polyclonaux de chèvre spécifiques anti IgG humain.
  • Si des IgG humaines sont liés au complexe PF4/polyanions, elles seront arrêté dans leur migration et les Ac portant les nanoparticules d’or coloré lié au même ligand également.
  • Plus le nombre de nanoparticule d’or est importante sur la même surface plus la couleur vue sera forte, dépassant éventuellement un seuil de reference signant la positivité.

Test STic

Il s’agit d’un test a bonne valeur prédictive négative (99,6% 1 FN sur 124) mais une faible VPP (44,4%) (LR-: 0,03 LR+: 5,87%) [13].

Test ELISA direct en phase solide

  • Les Ag utilisés sont des complexes PF4/héparine lié de façon covalente à la plaque ELISA.
  • Les éventuels Ac du plasma a tester se lient aux Ag.
  • La liaison est révélée par des Ac anti-IgG humains liés à de la peroxydase.
  • Le taux de peroxydase liée est mesurée par son activité sur le substrat TMB entrainant une élévation de la DO proportionnelle au taux d’ac anti heparin-PF4.

Test ELISA direct en phase solide

  • La sensibilité avoisine les 100% la spécificité est plus faible à 80%.
  • Il n'a pas une spécificité suffisante pour permettre à lui seul de confirmer un diagnostic de TIH

Recherche d’Ac anti-PF4/héparine activant les plaquettes (tests fonctionnels)

  • Se proposent d’étudier le comportement de plaquette témoin en présence du plasma du patient et d’héparine et d’éventuellement de mettre en évidence des Ac activant les plaquettes en présence d’héparine
  • Tous les patients présentants des Ac activant les plaquettes lors d’un test fonctionnel ne présentent pas systématiquement de TIH.
  • Il existe un polymorphisme au sein du gène du recepteur FcγRIIa responsable de l’activation plaquettaire qui peut être source de faux-négatif (plusieurs témoins sont nécessaires pour contrôler ce biais [14]).

Agrégométrie

  • Test fonctionnel permettant la mise en évidence d’une agrégation des plaquettes témoins en présence du plasma du patient et spécifiquement à l’héparine.
  • Cette analyse se fait dans un agrégomètre qui mesure la turbidimetrie du PRP, si il y a agréagtion la PRP se clarifie.
  • En cas d’agrégation il convient d’éliminer une auto-agrégation pour prouver la spécificité de l’agrégation en présence d’héparine.
  • En cas d’absence d’agrégation il convient d’éliminer la présence d’un inhibiteur de l’agrégation des plaquettes tel que l’aspirine (dans le plasma du patient) par la mise en évidence d’une agrégation en présence d’épinéphrine.

Test de libération de serotonine marquée au C14

  • Le PRP est incubé avec la [14C]-sérotonine (18,5 Kbq/10 mL)
  • Les plaquettes sont ensuite isolées et lavées sur un gradient de métrizamide puis remises en suspension dans un tampon HEPES (HEPES 10 mM, NaCl 140 mM, KCl 3 mM, MgCl2 0,5 mM, NaHCO3 5 mM et glucose 10 mM) à pH 7,4 en présence de 1 mM de calcium.
  • La suspension plaquettaire est ajustée à 2,5 x 108 cellules/mL.
  • Les plaquettes sont ensuite mises en présence du plasma du patient et de différentes concentrations d'héparine et incubées 1 heure à 22 °C sous agitation douce.
  • La réaction est arrêtée par addition d'EDTA 0,5 %.

Test de libération de serotonine marquée au C14

  • La sérotonine marquée libérée est ensuite mesurée dans le surnageant (après centrifugation) en présence de liquide de scintillation.
  • Les résultats sont exprimés en pourcentage de sérotonine libérée par rapport au contenu plaquettaire total.
  • Le test est considéré comme positif si la 14C-sérotonine libérée est supérieure à 20 % en présence de 0,1 et 0,5 UI/mL d'héparine et inférieure à 5 % en l'absence d'héparine ou en présence de 10 UI/mL d'héparine.

  • Cette analyse est le Gold Standard pour la mise en évidence d'Ac anti-PF4/héparine agrégants

Diagnostic différentiel

  • La thrombopénie non-immune induite par l'héparine surviennent chez 10 à 20 % des patients exposés aux HNF de 1 à 4 jours après l'initiation du traitement.
  • Typiquement les plaquettes ne déscende pas en dessous de 100 G/L.
  • Cette thrombopénie n'est pas hémorragique n'est pas associée à un risque de thrombose.

Traitements

Traitement de la thrombose

  • Plusieurs classes d’anticoagulants peuvent être utilisé
  • Les anti-Xa (antagonistes du facteur Xa)
    • En premiere intention le danaparoïde sodique (Orgaran)
    • Principal inconvéniant une demie-vie de 24H.
    • Dans de rare cas il peut induire des thrombocytopénies par réaction croisé avec les Ac anti-PF4/héparines [15].
    • On surveille son activité par dosage de l’activité anti-Xa. Il peut être prescrit chez les enfants et les femmes enceintes.
    • Des études ont également testé le Fondaparinux dans la TIH (facilité d’utilisation, mais rare cas de TIH induite)

Traitements

  • Les inhibiteurs directs de la thrombine
    • La Lepirudine (Refludan) fut le premier traitement aprouvé dans de la TIH aux USA.
    • Il n’est plus utilisé du fait de la grande variabilité inter-individuelle de son pouvoir anticoagulant entrainant un risque hémorragique important.
    • L’Argatroban (Arganova), est le médicament de seconde intention, choisit principalement pour sa demie-vie (50 minutes)
    • La Bivalirudine, et la Desirudine ont également été étudié dans le traitement de la TIH

Traitements

Danaparoïde sodique (Orgaran) Argatroban (Arganova)
Origine Animale Synthétique
Mode d'action Anti-Xa Anti-IIa
Demi-vie 25h 50 min
Métabolisme Hépatique
Elimination Rénale Hépato-biliaire
Suivi Biologique Anti-Xa TCA
Relais AVK Facile Délicat
Forme d'administration SC / IV IV
Coût ++ +++

Traitements prophylactique

  • Pour les TIH sans thrombose une anticoagulation par AVK (AOD?) est recommandée pendant 4 à 6 semaines.
  • En cas de TIH avec thrombose la durée sous AVK passe à 3 mois. Le relais doit être fait après normalisation du chiffre de plaquette (>150 G/L)

Bibliographie

  • [1] Fye WB, et al. Heparin: the contributions of William Henry Howell. Circulation 1984;69(6):1198-203
  • [2] Natelson EA, Lynch EC, Alfrey CP, et al. Heparin-induced thrombocytopenia. An unexpected response to treatment of consumption coagulopathy. Annals of internal medicine 1969;71(6):1121-5
  • [3] Rhodes GR, Dixon RH, Silver D, et al. Heparin induced thrombocytopenia with thrombotic and hemorrhagic manifestations. Surgery, gynecology & obstetrics 1973;136(3):409-16 Pubmed Wiki
  • [4] Cuker A, et al. Recent advances in heparin-induced thrombocytopenia. Current opinion in hematology 2011;18(5):315-22

Bibliographie

  • [5] Warkentin TE, Sheppard JA, Sigouin CS, et al. Gender imbalance and risk factor interactions in heparin-induced thrombocytopenia. Blood 2006;108(9):2937-41
  • [6] Lubenow N, Hinz P, Thomaschewski S, et al. The severity of trauma determines the immune response to PF4/heparin and the frequency of heparin-induced thrombocytopenia. Blood 2010;115(9):1797-803 Pubmed Wiki
  • [7] Gupta S, Tiruvoipati R, Green C, et al. Heparin induced thrombocytopenia in critically ill: Diagnostic dilemmas and management conundrums. World journal of critical care medicine 2015;4(3):202-12
  • [8] Padmanabhan A, Jones CG, Bougie DW, et al. Heparin-independent, PF4-dependent binding of HIT antibodies to platelets: implications for HIT pathogenesis. Blood 2015;125(1):155-61

Bibliographie

  • [9] Warkentin TE, Levine MN, Hirsh J, et al. Heparin-induced thrombocytopenia in patients treated with low-molecular-weight heparin or unfractionated heparin. The New England journal of medicine 1995;332(20):1330-5
  • [10] Warkentin TE, et al. Heparin-induced thrombocytopenia: pathogenesis and management. British journal of haematology 2003;121(4):535-55
  • [11] Greinacher A, Holtfreter B, Krauel K, et al. Association of natural anti-platelet factor 4/heparin antibodies with periodontal disease. Blood 2011;118(5):1395-401
  • [12] Pauzner R, Greinacher A, Selleng K, et al. False-positive tests for heparin-induced thrombocytopenia in patients with antiphospholipid syndrome and systemic lupus erythematosus. Journal of thrombosis and haemostasis : JTH 2009;7(7):1070-4

Bibliographie

  • [13] Leroux D, Hezard N, Lebreton A, et al. Prospective evaluation of a rapid nanoparticle-based lateral flow immunoassay (STic Expert(®) HIT) for the diagnosis of heparin-induced thrombocytopenia. British journal of haematology 2014;166(5):774-82
  • [14] Tan CW, Ward CM, Morel-Kopp MC, et al. Evaluating heparin-induced thrombocytopenia: the old and the new. Seminars in thrombosis and hemostasis 2012;38(2):135-43
  • [15] Tardy-Poncet B, Wolf M, Lasne D, et al. Danaparoid cross-reactivity with heparin-induced thrombocytopenia antibodies: report of 12 cases. Intensive care medicine 2009;35(8):1449-53